Un film de Quentin Tarantino
Titre original: Grinhouse: Death Proof
USA (2007)
Horreur (env. 1h50)
Avec : Kurt Russell, Rosario Dawson, Vanessa Ferlito, Zoe Bell, Jordan Ladd, Mary Elizabeth Winstead, Rose McGowan, Quentin Tarantino, Eli Roth...
Résumé : Julia et sa bande de copines, libres et sans complexes, sont bien décidées à passer leur vendredi soir à s’amuser et à faire la fête. Elles finissent la soirée dans un bar où elles doivent rejoindre d’autres amies. Trop occupées à se détendre, elles ne font pas attention à un individu louche qui les suit depuis un petit moment. Cet homme qui se fait appeler Mike « la cascade » est pourtant des plus inquiétants : balafré au visage son attention vis-à-vis des jeunes femmes ne semble pas des plus innocentes. En effet, puisque à leur départ du bar, Mike les poursuit et provoque un terrible crash avec sa voiture, véritable objet de destruction à l’épreuve de la mort pour son utilisateur. Quelques mois plus tard, alors que le meurtre de Julia et de ses amies a été classé par les autorités comme simple « accident » de la route, Mike est de nouveau en chasse…
S’il y a bien une chose dont tout le monde sera d’accord concernant Boulevard de la mort de Quentin Tarantino, c’est qu’il n’a pas vraiment fait l’unanimité. Que ce soit au sein de la critique, des fans du réalisateur ou plus généralement des néophytes de base, le film a provoqué moult débats ou chacun a exprimé ses opinions les plus vivaces pour le défendre ou bien l’enfoncer. Débats dans lesquels les mérites argués par les défenseurs sont matière à critique pour la partie adverse et vice versa… si bien que personne n’est arrivé à un compromis (on adore ou on déteste). Alors oui, Boulevard de la mort ne plaît pas à tout le monde (et il y a peu de chance pour que cela change avec le temps), déçoit autant qu’il enthousiasme c’est comme ça il faut s’y faire. Toutefois il serait bon de revenir sur les détails provocateurs de cette discorde et comme n’étant point objectif puisque me cataloguant illico dans le camp des « pour », je prendrais les arguments du « contre » pour tenter de les prendre à défaut. Let’s go girls.
Vive la réclame !
Commençons par l’argument le plus facilement destructible du lot car celui-là n’en est pas vraiment un. A savoir, le reproche fait à Boulevard de la mort de ne pas comporter les fausses bandes- annonces : tout le monde le sait où devrait savoir qu’initialement le film était un segment faisant partie d’un diptyque (composé de celui-ci et Planète terreur de Robert Rodriguez), réunis sous le titre Grindhouse et destinés à être présentés lors d’une même et seule séance. Le tout entrecoupé par de fausses bandes-annonces réalisées tout spécialement pour l’occasion par les nouveaux talents du cinéma horrifique (Eli Roth, Rob Zombie, Edgar Wright). Mais suite à l’échec au box-office américain de se format, il fut décidé par les producteurs Weinstein, de couper les deux segments en vue de deux séances distinctes (et payantes) pour le marché européen. Ainsi cette décision prise à la légère, renforcée chez nous par l’idée absurde des distributeurs que notre pays n’a jamais eu la culture du double programme (c’est archi faux ! c’est juste que nous ne l’avons plus voilà tout), nous privent de bien des plaisirs. Non seulement de la joie de voir les deux films l’un après l’autre, alors que c’était là une belle occasion de faire découvrir à tous ceux qui ne l’ont jamais connu, la satisfaction d’une double séance (comme votre humble rédacteur !), mais également de s’amuser des fausses bandes-annonces purement et simplement disparues dans nos contrées. Une injustice pure et dure ne pouvant que provoquer la déception et la colère de tous ceux qui attendaient avec impatience la sortie de Grindhouse. Pourtant ce n’est en rien un reproche à mettre sur le dos de Boulevard de la mort (ce que beaucoup se sont permis de faire sur les forums), devant être jugé comme un entité propre (ce qu’il est) et non par rapport à un tout, qui doit être critiqué pour ce qu’il est et non sur l’absence de compléments extérieurs. Cela étant tout n’est pas noir puisque si nous n’avons pas eu le droit à l’intégralité du programme, il y a une petite compensation en retour. Celle de voir Boulevard… dans sa version intégrale rallongée de presque trente minutes, de quoi se consoler un peu, non ? Ce point réglé attelons nous au cœur du problème (si on peut dire les choses comme ça).
Moins de bla-bla plus d’action
Le principal défaut qu’on incombe directement à
Boulevard… c’est d’être trop bavard. Que Tarantino néglige l’action, au détriment de longs dialogues interminables ne menant à rien. Si l’on fait la comparaison entre le temps imparti aux scènes de dialogues et celui réservé aux scènes de meurtres l’ensemble ne peut que passer pour branlant (presque 45 minutes pour 10 minutes à tout casser dans la première partie), surtout que la majorité de ces conversations entre nanas ne font pas avancer l’histoire. Petit rappel d’histoire : à la sortie de
Jackie Brown une bonne partie de la critique avait aussi qualifié le film d’excessivement bavard, se rapprochant plus d’une œuvre radiophonique que cinématographique. Aujourd’hui ces mêmes personnes sont les premières à louer les mérites de ce dernier, le considérant comme étant « le film de la maturité ». Certes ici Tarantino pousse le bouchon encore plus loin question dialogues, faisant de son
Boulevard… sûrement son œuvre la plus radicale (par rapport à son écriture mais sur bien d’autres points également) mais ce avec toujours la même exigence de la réplique bien travaillée, du bon mot qui fait mouche, du discours anodin retenant l’attention de part son rythme et ce sentiment de véracité qui s’en dégage. Bavard
Boulevard… ? Que nenni ! Même si je ne peux nier que dix minutes de « parlotte » en moins n’aurait pas nuit à l’ensemble. Et puis si le réalisateur a fait le choix d’appuyer les scènes d’expositions ce n’est pas par hasard ou par nombrilisme (du mois pas entièrement). Il y a au moins deux raisons à cela : premièrement il est évident qu’il a voulu créer une empathie complète du spectateur envers les héroïnes. En prenant tout son temps pour nous présenter ces femmes, nous les faire connaître intiment, le cinéaste décuple la force du suspense quand celles-ci seront les victimes des agissements d’un psychopathe. Deuxièmement, l’histoire de
Boulevard… est entièrement construite comme un orgasme censé faire prendre son pied à son audience. Tarantino sait très bien que son public n’attend qu’une chose : de l’action, de l’action et encore de l’action ! D’accord mais plutôt que de privilégier la quantité sur la qualité, il fait le choix de nous faire patienter, de faire monter la sauce, de faire grimper l’excitation petit à petit pour quand vient le moment fatidique de « lâcher la purée » pour le dire vulgairement. En résulte un crash routier dévastateur et une course poursuite vrombissante. Deux scènes mémorables qui resteront longtemps imprégnées sur nos rétines. Ce fut court mais terriblement intense. Au bout du compte ça valait vraiment le coup d’attendre.
Slasher 0 pour sang
Dès l’annonce de la mise en chantier du projet Grindhouse, le segment de Tarantino a toujours été vendu comme dixit l’intéressé « un slasher avec une voiture à la place du couteau », il n’en fallait pas plus pour exister tous les geeks du genre et autres amateurs de boogeymen sadiques trucidant de jeunes et jolies jeunes damoiselles. Cependant Boulevard… a désappointé plus d’un fan n’ayant pas retrouvé (ou voulu reconnaître) la présence d’éléments inhérents au salsher. Entre la nouvelle du sujet du film et sa vision au cinéma, nombreux sont ceux à s’être retrouvés à fantasmer dessus, imaginant une succession de nombreux meurtres routiers durant lesquels Quentin se lâcherait comme un fou sur la quantité d’hémoglobine projetée sur l’écran (après tout on parle du type qui a fait Reservoir Dogs et Kill Bill). En définitive nous avons eu tort car comme dit plus haut, Boulevard… ne comporte que très peu de scènes de meurtres et toutes concentrées à la moitié du film. Une carence à l’origine de cette idée que Boulevard… n’est pas un slasher. Admettons, pourtant il entretient assez de points communs avec le genre pour pleinement y appartenir : présentation des futures victimes, dévoilement progressif du tueur (Kurt Russell tout simplement ENORME) dont l’aspect dangereux se lit sur son visage (sa cicatrice) et son arme, un côté très « teenage » (fête bien arrosée et sexe dans toutes les pensées)… On est bien dans l’esprit du slasher et peu importe si la quantité de victimes est inférieure à d’autres. Tarantino a beau être un cinéaste « fan » ultra-référentiel, piochant intensivement dans toute sa mémoire cinéphilique, il ne se contente jamais de reproduire bêtement ce qu’il a vu. Pas question pour lui de s’attaquer au genre s’il ne peut pas l’amener plus loin. La démarche n’est pas nouvelle : n’a t-il pas transformé un simple récit de vengeance mâtiné de kung-fu en une puissante histoire d’amour avec Kill Bill, dans lequel il remplaçait un duel final tant attendu par un splendide dialogue de 20 minutes et malgré tout emportait l’adhésion de tous ceux qui se seraient contentés d’une chorégraphie élaborée ? Quant à la violence du film bien quelle ne soit pas constante elle n’en est pas moins bien présente. En démontre l’impressionnante collision entre deux voitures, montées sous forme de flashbacks, permettant de revenir sur chaque victime et sur les dégâts physiques provoqués sur chacune d’elles avec son lot de détails sanglants. Encore une fois c’est peu mais rien qu’avec cette scène Boulevard… vaut beaucoup mieux que n’importe quel slasher bidon période post-Scream (bon c’est vrai que là je choisis le fond du fond) et pour ceux qui continuent à penser que les expositions des personnages sont trop longues, je rappellerai que dans toute la première partie d’Halloween (le salsher ultime par excellence !) il ne se passe pas grand-chose... réfléchissez-y.
A la dérive
L’autre idée du concept
Grindhouse est de faire revivre les conditions de projections, pas toujours géniales, du cinéma d’exploitation. L’idée est donc d’affubler l’image de rayures, salissures, tâches, sauts d’images, flous… et autres imperfections de l’époque dût aux multiples projections dans les salles et drive-in, causant la dégradation rapide des bobines. A l’heure où les salles sont de mieux en mieux équipées, où elles proposent les meilleures conditions de visionnage possibles aux spectateurs; voir de son plein gré un film à l’image volontairement crasseuse ne pouvait que plaire. Cela peut paraître futile comme procédé, toutefois c’est une manière originale et efficace pour renforcer l’impression d’immersion recherchée. Cette impression de se retrouver en plein dans les seventies et de se mater un bon petit film de l’époque. Dommage seulement que Tarantino s’arrête en chemin pour proposer une image plus clean et une mise en scène beaucoup plus travaillée et moderne dans la seconde partie (osé critiquer un film parce qu’il est bien réalisé si ce n’est pas de la mauvaise fois ça !). Cette rupture donne a penser que Tarantino a oublié sa charte de départ pour sombrer dans l’autoréférence pas toujours pertinente (la partie en noir & blanc façon
Kill Bill). Il semble que son statut de « réalisateur-star » lui soit un peu monter à la tête, lui faisant prendre un peu trop d’assurance et de confiance en lui. Un excès de zèle pas franchement dramatique pour le coup (vu ses grandes capacités de metteur en scène) dont le fiasco de
Boulevard… au box-office américain devrait rapidement apaiser.
Sexe, femmes et nostalgie
Pour finir le scénario s’est vu qualifier de rachitique et de creux. En apparence seulement, car sous ses aspects de film récréatif, Boulevard… cache de vrais sous-textes qu’il serait bien regrettable d’occulter : le film est une ode du réalisateur faite aux femmes. Pas étonnant de la part de celui qui a signé quelques-uns des plus beaux portraits de femmes du cinéma avec Jackie Brown et the Bride. Tarantino aime les femmes et sait les mettre en valeur, malgré les apparences. Elles peuvent paraître comme de simples « salop…» au premier regard. Elles peuvent paraître grossières (elles parlent comme des mecs), superficielles, à la sexualité sans tabous (la lap dance de Vanessa Ferlito une grande séquence d’érotisme soft à mettre au côté du strip de Salma Hayek dans Une nuit en enfer) et pipelettes, elles n’en demeurent pas moins de vraies femmes modernes, fortes, libres, capables de se défendre elles-mêmes sans l’aide de quelconques mâles. Et n’en déplaise aux pro-féministes butées qui crieront toujours et encore au machisme d’un autre temps. On se souvient qu’en leur temps, les films de Russ Meyers (la saga mammaires des Vixens & Co), dont Boulevard… ce fait le digne héritier; furent considérés comme des œuvres proposant une image dégradante de la femme. Depuis il apparaît évident que c’était l’inverse, car celui qui en prend pour son grade dans l’affaire c’est bien l’homme. Ce dernier étant majoritairement représenté par Mike « la cascade », tueur psychopathe cachant de toute évidence derrière sa folie criminelle, un gros complexe situé en dessous de la ceinture. Pour la jouer court son arme c’est sa bit… (on rejoint encore une des figures récurrentes du slasher). Sa voiture est donc une façon malsaine pour lui de « perforer » la gente féminine puisqu’ il est incapable de le faire avec son autre engin. Une façon de se persuader d’être le genre dominant dans une époque où la femme s’impose de plus en plus et dicte ses règles (y compris à grand coups dans les testicules). Les temps ont changés et pas que les mœurs. Le cinéma lui aussi a énormément évolué, la technologie a progressé et le numérique a tout chamboulé en matière d’effets spéciaux et de la façon de penser les scènes d’actions. Un bouleversement des standards de la production audiovisuelle qui n’est pas pour réjouir notre petit Quentin qui n’a jamais dissimulé son aversion pour le digital qui selon lui empêche l’immersion du public et ayant nuit à plusieurs métiers comme celui de cascadeur. Ce n’est pas un hasard si l’assassin soit un ancien cascadeur usé au chômage, oublié par une entreprise préférant la sécurité et la facilité du pixel à tout va (voir son touchant discours sur ces anciens faits de gloire à des personnes ignorantes de quoi il retourne). Boulevard… sonne alors comme un appel à un retour aux anciennes techniques. Un retour dans un temps où des gens prenaient de vrais risques pour nous scotcher dans notre fauteuil, quand nous étions plongés dans un univers physique palpable et non dans un amas de répliques creuses du réel (enfin le numérique à ces bon côtés ne soyons pas mesquins)… En témoigne cette monstrueuse course poursuite finale, faite intégralement à l’ancienne, sans l’aide d’ordinateur, dans laquelle tous ce que l’on voit a été réalisé pour de vrai (chapeau à la cascadeuse Zoe Bell pour sa performance) avec de vrais bolides mécaniques rugissant au milieu de voitures modernes électriques silencieuses et fades. Toute action doit impliquer émotionnellement sinon elle n’est qu’esbroufe et futile. Et pour cela il faut de la chair, des tripes, du cœur, du sang et des larmes… tout ce que comporte ce salvateur trip à l’ancienne, réjouissant à souhait. C’était peut être pas forcément mieux avant mais putain que c’était bon !
Pour faire court : Bien que son réalisateur n’aille pas toujours jusqu’au bout de son concept de départ, Boulevard de la mort reste un film jouissif à la fois brillant hommage à tout un pan oublié du cinoche américain et une réflexion nostalgique d’un temps où l’ère du tout numérique n’avait pas tout envahie.